Le Journal du Dimanche: La descente aux enfers du soldat Hassan

journal_du_dimancheDéchiré entre son patriotisme américain et ses origines arabo-musulmanes, Malik Nadal Hassan a tué treize hommes sur une base texane. "Je suis né ici, j’ai été élevé ici, j’ai des devoirs envers ce pays." C’est par ces mots que le jeune Malik Nadal Hassan aurait justifié devant ses parents sa décision de s’engager dans l’armée américaine à la fin des années 1980, dès sa sortie de la Roanoke High School, au fin fond de la Virginie. Jeudi, le major Hassan, qui devait être envoyé en Irak, a ouvert le feu à Fort Hood (Texas), sur la plus grande base de l’armée américaine, tuant douze soldats et en blessant trente et un autres avant d’être maîtrisé.

Fils d’immigrés palestiniens, le garçon avait vite été renvoyé par ses recruteurs à l’université pour y recevoir des formations qui lui seraient utiles sous l’uniforme. Biochimie, médecine générale, psychiatrie, gestion des stress traumatiques, Malik suit un parcours sans failles jusqu’à arriver comme interne à l’hôpital Walter Reed de Washington, le plus grand établissement de soins donnés aux soldats américains.

Mais, entre-temps, il y a eu le 11 septembre 2001. Comme le racontent ses proches, Malik est, à l’image de milliers de ses frères musulmans, victime de remarques désobligeantes. Ses camarades en treillis le surnomment "le chamelier", il se sent cerné par un soupçon qui ne s’éteint jamais tout à fait. Avec la guerre en Irak qui démarre, le Dr Hassan envisage de regagner la vie civile. Selon son cousin Nader Hassan, il engage même un avocat: "Il voulait faire tout son possible dans le cadre de la loi pour s’assurer qu’il ne serait pas déployé en Irak." Mais il a signé un contrat de longue durée avec l’armée et, pour rompre avec l’institution, il devrait lui rembourser toutes ses années d’études et de formation… A Walter Reed, Malik Hassan n’en reste pas moins très professionnel face aux patients de retour du front, auxquels il dispense une aide psychologique ou psychiatrique. Le jeune officier est même promu puis décoré de la médaille de la Défense nationale et de celle de la "guerre globale contre le terrorisme". Son quotidien est parfois dur. Un jour, il raconte à sa tante qu’il a pris en charge un soldat si grièvement brûlé qu’il avait "l’impression de parler à un visage fondu". A cette époque, Malik a déjà perdu ses parents. L’un de ses frères fait des affaires dans la région de Washington, l’autre est retourné vivre à Jérusalem-Est, où il est avocat. La radicalisation du soldat Hassan est faite de désillusions

Des échappatoires ? Il y en a peu. Le Dr Hassan est un fan de l’équipe de football américain des Redskins. Il est toujours célibataire. A l’imam de la mosquée, où il se rend souvent pour prier, il souligne qu’il souhaite se marier "avec une musulmane pieuse qui porte le hidjab", comme il le spécifie également sur un site d’annonces matrimoniales. A Noël, il refuse de se faire prendre en photo de groupe avec ses collègues pour ne pas apparaître aux côtés d’une femme.

En juillet dernier, le Dr Hassan est affecté à l’hôpital militaire de la base de Fort Hood. La déchirure avec ce qui lui reste de famille et sa communauté n’en est que plus grande. C’est aussi là qu’il apprend officiellement qu’il risque d’être envoyé en Irak avec son unité de médecins psychiatres. Il demande, en désespoir de cause, à être plutôt déployé en Afghanistan, en vain. Est-ce lui, sous la signature de "NidalHasan", qui poste alors sur Internet des commentaires vite repérés par le FBI ("Un kamikaze est un héros courageux qui sacrifie sa vie pour une noble cause")? Il n’y avait toujours pas hier de preuves que l’auteur de ces mots soit le psychiatre militaire. Mais tout laisse croire à la radicalisation rapide du soldat Hassan, à mesure que s’enchaînaient ses déceptions et ses désillusions.

Quelques heures avant de passer à l’action, une caméra de surveillance d’une épicerie l’a filmé en train de commander un café, vêtu d’une gandoura et coiffé d’un calot de coton blanc. Selon le général commandant de la base de Fort Hood, des témoins de la fusillade auraient entendu le médecin-major, cette fois en uniforme, crier "Allah Akbar" en tirant sur ses victimes. L’horreur à l’état pur qui braque à nouveau le projecteur sur la communauté arabo-américaine aux Etats-Unis, forte de 3,5 millions de membres. Pour Ahmed Rehab, président du Conseil des relations islamo-américaines, joint par le JDD, "cette histoire est la pire qui ait pu nous arriver depuis le 11-Septembre : son exploitation médiatique et politicienne fera malheureusement oublier la remarquable intégration de notre communauté".

2009 © Le Journal du Dimanche